Une communauté juive est attestée à Genève dès 1396, date qui coïncide avec celle de l’expulsion des juifs du royaume de France deux ans plus tôt. En 1428, ses membres sont contraints de vivre dans ce que l’on nomme alors la Juiverie, un quartier séparé, fermé la nuit, et situé près des actuelles rue des Granges et place du Grand-Mézel. La dégradation des conditions de vie des juifs en Europe au 13e siècle[1] touche, en effet, aussi les juifs genevois et elle aboutit, comme dans les royaumes d’Angleterre, de France, d’Espagne ou du Portugal, à leur expulsion, qui se fera à Genève en 1490. Fin 18e siècle, une communauté juive essentiellement composée de juifs d’Alsace se forme à Carouge. Celle-ci y trouve la protection du roi de Sardaigne, auquel Genève a cédé Carouge en 1754, et obtient l’octroi d’un lieu de prière et d’un cimetière.
Ce n’est qu’en 1816, date du rattachement de Carouge au nouveau canton de Genève, que les juifs retrouvent droit de cité dans la république de Calvin. Ils devront encore attendre le milieu du siècle pour jouir de la liberté de culte, introduite par la constitution de 1847, et 1857 pour obtenir la citoyenneté genevoise. En 1852, le Conseil d’Etat reconnaît officiellement la communauté juive genevoise comme une fondation. Elle se dote alors de statuts et prend le nom de « Communauté israélite établie dans le canton de Genève ». Cette appellation adoptée en 1835 est en fait simplifiée dès 1843 pour les affaires courantes en « Communauté israélite de Genève », nom qu’elle prendra de façon officielle en 1917. Symbole de cette nouvelle politique, la synagogue Beth Yaacov est construite en 1859 sur un terrain octroyé par l’Etat lors de la démolition des anciennes fortifications[2].
La communauté se diversifie à la fin du 19e siècle et au début du 20e siècle avec l’arrivée de juifs ashkénazes d’Europe de l’Est, fuyant pour les uns des conditions économiques et politiques difficiles, pour les autres, les numérus clausus imposés aux étudiants juifs de l’Empire russe à l’entrée des écoles secondaires et des universités. Elle accueille également des juifs séfarades en provenance de l’Empire ottoman moribond. Ces derniers fondent en 1916 le Groupe fraternel sefardi qui s’élargira après la Seconde Guerre mondiale avec la venue de séfarades du Moyen-Orient (du fait du conflit israélo-palestinien) puis, après la décolonisation, avec la venue de juifs venus du Maghreb. Beaucoup de juifs marocains sont par ailleurs arrivés en Suisse par la filière de l’ORT, une ONG juive dispensant des formations professionnelles. Le Groupe fraternel séfardi fusionnera en 1965 avec la CIG.
Sources :
PLANCON, Jean, Histoire de la communauté juive de Carouge et de Genève, 2 vol., Slatkine 2008.
KAMIS-MÜLLER, Aaron, et al., Vie juive en Suisse, Musée historique de Lausanne, Editions du grand-Pont, 1992.
Fédération suisse des communautés israélites, Histoire de la communauté juive de Genève, « Factsheet FSCI », 2009.
Communauté israélite de Genève, Présence juive à Genève : du moyen âge à l’émancipation (XIXe siècle), [exposition], synagogue Hekhal Haness, Genève, 14-29 mai 1987, Assessorato alla cultura della Regione Piemonte, 1987.
[1] obligation de porter un signe distinctif (la rouelle en France, les tables de la loi en Angleterre, le « chapeau juif » en Allemagne), obligation d’habiter des quartiers séparés et fermés (les ghettos), interdiction d’exercer certains métiers, persécutions dues aux accusations portées par diverses rumeurs (on accuse les juifs de profaner les hosties, d’empoisonner l’eau des puits, etc).
[2] Lors de la démolition des fortifications de la ville en 1849, James Fazy voulut faire un geste symbolisant son combat pour la liberté des cultes et son ouverture à la pluralité religieuse. Sur l’emplacement des anciennes murailles, il offrit des parcelles de terrain aux anglicans, aux catholiques, aux orthodoxes, aux juifs et aux francs-maçons pour qu’ils puissent y construire un lieu de culte.
Le premier lieu de culte juif autorisé à Genève par le Conseil d’Etat date de 1843. Il s’agit d’un appartement situé au deuxième étage d’un immeuble de la rue du Rhône. Depuis la constitution du canton (1815), en effet, les juifs ont à nouveau droit de cité dans la ville mais ils n’y ont pas encore la liberté de pratiquer leur religion et cette synagogue est tolérée parce qu’elle n’est pas visible. C’est sous le gouvernement de James Fazy, porté au pouvoir par la révolution de 1846, que Genève instaure la liberté de culte, proclamée par la Constitution cantonale de 1847. S’ensuit la reconnaissance officielle de la communauté juive et l’octroi d’un terrain pour construire une synagogue.
C’est l’architecte genevois Jean Henri Bachofen qui se charge du projet. Il s’inspire des synagogues de style « mauresque » ou « orientaliste » construites en Allemagne dans les années 1830. A cette époque en effet, un certain nombre d’architectes européens, en quête du style approprié aux nouveaux lieux de culte juifs, ont tendance à adopter les formes architecturales du lieu « d’origine » du judaïsme, tel qu’ils se le représentent, et reproduisent des typologies arabisantes : coupoles, arc outrepassés (en fer à cheval), façade et voussoirs rythmés de bandes bicolores, crénelage, etc.
Outre son style « mauresque », le bâtiment reprend des traits caractéristiques des synagogues du 19e siècle, à savoir la représentation des tables de la loi, ici au sommet de la coupole, et la citation du verset biblique du livre d’Isaïe (Isaïe 56,7) sur le fronton de l’édifice : « Car ma maison sera appelée une maison de prière pour tous les peuples ». Mais le bâtiment comporte aussi des références chrétiennes : présence d’un orgue et d’une chaire (que l’on voit se développer à cette époque dans les synagogues réformées), arche sainte inspirée des portails des églises romanes avec son arc en plein cintre et ses colonnes surmontées de chapiteaux. Les peintures murales sont de Jean-Jacques Dériaz, célèbre décorateur genevois de l’époque, auteur notamment des plafonds du Conservatoire de musique.
Longtemps appelée « la synagogue de Genève », elle a été nommée Synagogue Beth Yaacov à la suite de travaux de rénovation en 1982. Elle est un édifice connu et reconnu des habitants de Genève. Citée depuis le 19e siècle dans les guides touristiques, elle sera même exposée sous forme de photographies à l’exposition universelle de Paris en 1867.
La Communauté Israélite de Genève (CIG), à laquelle est attaché le groupe ashkénaze, compte plus d’un millier de familles membres (1267 familles en 2012 – chiffre communiqués par la communauté ). La direction religieuse est assurée par le grand rabbin, Izhak Dayan. Celui-ci dirige la surveillance de la casheroute dans divers établissements genevois et frontaliers proposant des produits casher (hôtels, restaurants, traiteurs, magasins). Il célèbre aussi les mariages, procède aux conversions, aux divorces religieux ainsi qu’aux bar et bat mitzvot (bar mitzvah) des enfants ayant atteint la majorité religieuse.
La CIG rassemble des juifs suivant le rite ashkénaze ou le rite séfarade. Les premiers se réunissent à la synagogue Beth Yaacov, près de la plaine de plainpalais, les seconds fréquentent la synagogue avenue Dumas, dans le quartier de Champel, ainsi que la synagogue Hekhal Haness, route de Malagnou.
En dehors des activités cultuelles, les membres se retrouvent par affinité d’âge ou centres d’intérêt : le « cercle de l’âge d’or » réunit les ainés une fois par semaine, le « centre des jeunes » organise des camps et activités pour les enfants de 6 à 18 ans, des cours de théâtre, de danse, de cuisine ou d’hébreu sont aussi proposés aux adultes. L’éducation religieuse est donnée aux enfants de 7 à 13 ans lors des cours hebdomadaires de Talmud Torah (littéralement « étude de la Torah»).
La CIG possède également un service social, formé de professionnels salariés et de bénévoles qui viennent en aide aux personnes de la communauté dans le besoin (demandeurs d’emploi, réfugiés, personnes isolées, malades, etc.). Elle dispose aussi d’un jardin d’enfants et d’une maison de retraite (Les Marronniers). Elle collabore avec l’école juive Girsa.
La CIG organise régulièrement des activités culturelles (conférences, concerts, projections de films, etc.) ouverts également aux personnes non-membres de la CIG.
Le judaïsme « orthodoxe » s’est formé en réaction aux innovations religieuses prônées par les mouvements réformateurs qui se développent au sein du judaïsme européen et américain dans le courant du 19e siècle.
Ce sont les changements sociopolitiques entrainés par l’émancipation des juifs d’Europe qui ont conduit certains rabbins et intellectuels à préconiser des réformes au sein du judaïsme, réformes perçues comme une adaptation à la modernité et aux nouvelles conditions de vie des juifs désormais égaux en droit aux autres citoyens (cf. judaïsme réformé ou libéral). Leurs idées ne font pas l’unanimité et une frange importante de coreligionnaires leur opposent la fidélité au mode de vie traditionnel, le caractère immuable et divinement inspiré de la loi écrite et orale (la Bible et son interprétation par les rabbins) ainsi que l’observance stricte des enseignements de la halakha, la jurisprudence rabbinique. Ce sont les juifs réformés qui en vinrent à appeler leurs opposants « orthodoxes », un terme apparu au sein du judaïsme fin 18e siècle et qui désigna dès lors ceux qui se voulaient gardiens de la tradition.
Le groupe ainsi défini n’a jamais été uniforme. La question du positionnement face à la modernité, aux non-orthodoxes et aux sciences, a beaucoup divisé l’orthodoxie. Certains rejetèrent en bloc les valeurs de la réforme et prônèrent de s’isoler du monde extérieur. Cette approche, portée notamment par Moshe Sofer (1762-1839), devint caractéristique de l’orthodoxie en Europe de l’Est, en particulier de l’orthodoxie hongroise et des communautés hassidiques. Ces tenants furent appelés « ultra-orthodoxes » ou « haredim » (mot d’abord employé comme une traduction d’ « orthodoxe » en hébreu et qui en viendra au 20e siècle à désigner les orthodoxes non-sionistes). Une branche moins hostile à la modernité se développa dans le sillage de Raphaël Hirsch (1808-1888) et fut désignée comme « néo-orthodoxe ». Contrairement aux disciples de Moshe Sofer, ils adoptèrent les codes vestimentaires et comportementaux de leur époque et introduisirent au sein de leurs écoles un enseignement non religieux. Cette branche eut une grande influence en Europe centrale et occidentale, en particulier en Allemagne. Elle est à l’origine de l’orthodoxie « moderne » ou « centriste ».
Dans les différents pays où elle existe aujourd’hui, l’orthodoxie se dessine au travers d’une large palette de sensibilités. Il n’existe pas de structures qui fassent autorité au sein des rabbins orthodoxes, seulement des organisations les regroupant en fonction de leurs orientations (Union of Orthodox Jewish Congregations of America, United Synagogue en Angleterre, Consistoire Israélite en France, Grand rabbinat en Israël, etc.). Ajoutons que la diversité du mouvement est encore accentuée par les origines variées des juifs qui s’y identifient et pratiquent selon le rite ashkénaze ou séfarade.
Tous les juifs orthodoxes se retrouvent autour de l’idée que la Loi écrite (la Bible) a été révélée par Dieu et présente un caractère immuable. Ils considèrent également que la halakha est le pilier de la vie juive. Dans la pratique, un certain nombre de rites et de traditions sont considérées comme essentielles et respectées. Il s’agit de la circoncision, considérée dans le judaïsme comme le signe de l’alliance établie par Dieu avec le peuple juif (elle est un rite majeur, pratiqué huit jours après la naissance d’un garçon, également observé par les juifs libéraux ou réformés), du respect du shabbat et de la célébration des fêtes du calendrier religieux, des interdits alimentaires ou encore de la bat ou bar mitzvah.
Le shabbat est un jour de repos commençant le vendredi soir au coucher du soleil et se terminant le samedi soir à l’apparition de trois étoiles dans le ciel. Il est marqué par quatre offices synagogaux (le vendredi soir, le samedi matin, après-midi et soir), l’étude et le repos. Il est la fête par excellence. Avec lui, les juifs célèbrent cinq fêtes majeures, prescrites par la Bible : Pessah (la Pâque juive, qui commémore la sortie d’Egypte), Shavouot (fête du don de la Torah), Souccot (« la fête des cabanes », qui commémore l’errance dans le désert du peuple hébreu après la sortie d’Egypte), Roch Hashana (le nouvel an) et Yom Kippour (le jour de l’expiation, jour de jeûne consacré à la prière et à la repentance). S’ajoutent encore deux fêtes dites historiques (Hanouka et Pourim) et des fêtes mineures (par exemple Lag Baomer et Tou Bishvat). Les garçons célèbrent leur bar mitzvah à l’âge de 13 ans lors d’un office de shabbat où ils lisent généralement une partie de la Torah et du livre des Prophètes et font un discours. Les filles fêtent leur bat mitzvah à 12 ans. La cérémonie diffère de celle des garçons car les filles ne jouent pas de rôle dans le culte public orthodoxe. A la synagogue, les femmes sont assises séparément des hommes.
Indications bibliographiques :
Dictionnaire du judaïsme, Encyclopaedia Universalis : Albin Michel, 1998.
ATTIAS, Jean-Christophe, BENBASSA, Esther, Petite histoire du judaïsme, Librio, 2007.
FACKENHEIM, Emil L., Judaïsme au présent, Albin Michel, 1992.
HADAS-LEBEL, Hélène, Le judaïsme, pratiques, fêtes et symboles, Presses de la Renaissance, 2011.
JACOBS, Louis (ed.), A Concise Companion to Jewish Religion, Oxford University Press, 1999 (version online 2003).
KRIEF, Hervé, Les grands courants de la spiritualité juive, Peter Lang, 2008.
LANGE, Nicholas de, FREUD-KANDEL, Miri (ed.), Modern Judaism : an Oxford guide, Oxford University Press, 2005.
NEUSNER, Jacob, AVERY-PECK, Alan J., GREEN, William Scott (ed.), The encyclopaedia of Judaism, Brill, 2000-2004
SKOLNIK, Fred, BERENBAUM, Michael (ed.), Encyclopaedia Judaica, Macmillan Reference USA in association with the Keter Pub. House, 2007 (2nd ed.).
TOLÉDANO, Joseph, Les Sépharades, Brepols, 1992.
WIGODER, Geoffrey, Dictionnaire encyclopédique du judaïsme, Cerf/Robert Laffont, 1996.