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Histoire à Genève

 

A Genève comme dans plusieurs autres villes suisses, des membres ou sympathisants de la Société religieuse des Amis (nom officiel des quakers) commencèrent à se rassembler en petits groupes informels dès le premier quart du 20e siècle. En 1934, une réunion fut organisée à Berne à l’initiative d’Hélène Monastier, membre du groupe de Genève puis de celui de Lausanne, pour tenter de les fédérer. Devant le succès de cette rencontre, il fut décidé de reproduire l’expérience chaque année et de travailler à l’indépendance des quakers suisses, alors membres individuels des Assemblées de France, d’Allemagne ou d’Angleterre. C’est ainsi qu’en 1939, l’« Assemblée générale de Suisse » (Switzerland General Meeting) fut reconnue par l’Assemblée de Londres et qu’en 1947, l’ « Assemblée annuelle de Suisse » (Switzerland Yearly Meeting, dans le jargon quaker) acquit son indépendance.

A Genève, c’est en 1918 que se tinrent les premières rencontres régulières de quakers. Organisées par Madeleine Savary, première « clerk » (secrétaire) du groupe, elles avaient lieu dans la cuisine de son appartement situé en bordure de la vieille ville (à la rue du Manège 1, aujourd’hui rue René-Louis Piachaud). A partir de 1920, le groupe changea plusieurs fois de lieu de réunion : d’abord domicilié à l’Institut Jean-Jacques Rousseau, 5 rue de la Taconnerie, il s’installa ensuite à la rue du Vieux-Collège (dans les locaux de la Ligue internationale des femmes – WILPF), au Palais Wilson, à la salle Centrale de la Madeleine, dans un appartement à la rue Adrien Lachenal, au Château-Banquet (rue de Lausanne) et finalement à l’avenue du Mervelet.

La plupart de ces lieux furent partagés avec le Centre quaker, l’ancêtre de l’actuel Quaker United Nations Office (QUNO – « Bureau quaker auprès des Nations Unies »), créé en 1923 dans le but de jouer un rôle auprès de la toute jeune Société des Nations. Cet organisme fait écho à l’engagement des quakers pour la paix, engagement qui a d’ailleurs valu aux comités quakers Friends Service Council et American Friends Service Committee, le prix Nobel de la paix en 1947. Un foyer quaker pour étudiants (le Quaker hostel) fut également créé à Genève en 1926 ; il ferma ses portes en 1942.

Le groupe religieux quant à lui, fut dès les débuts fréquenté par des Suisses et des internationaux (Américains, Britanniques, Français, Allemands, etc.), pour beaucoup employés des organisations internationales à Genève. Aussi, le groupe a toujours fonctionné en français et en anglais.

En 1973, la Fondation quaker de Genève fit l’acquisition d’une maison au 13 avenue Mervelet, dans un quartier résidentiel proche de l’aéroport, pour y abriter les bureaux du QUNO et les activités du groupe quaker qui s’y installa en 1975.

Sources :

Archives du groupe Quaker de Genève :

Beck, Gertrude, “The quaker centre in Geneva”, In The Friend – November 2nd, 1923.

Hall, Willis H., Quaker international work in Europe since 1914,  Thèse présentée à l’Université de Genève (Institut universitaire de Hautes Études Internationales), Imprimeries Réunies de Chambéry, 1938.

Royston Michael and Erica, Switzerland Yearly Meeting, History and Biography Project “Let Their Lives Speak”, A Resource Book, SYM History and Biography Project Summer 2005.

Ward, John, Présentation du Switzerland Yearly Meeting en 1971 pour l’ouvrage « Bilan du christianisme 1972 » (World Christian Handbook 1972).

Woods, Dorothea (ed.), Friends Meeting in Geneva: history, insights, practice, Geneva Monthly Meeting, 1985 (2nd ed.).

 

Lieu de culte

Le groupe quaker de Genève se réunit dans une pièce de la « maison quaker », une villa occupée principalement par le Bureau quaker auprès des Nations Unies (QUNO). Cette maison date des années 1920 et a été achetée en 1973 par la Fondation quaker de Genève dans le but de fournir au QUNO des bureaux proches des Nations Unies ainsi qu’un lieu de réunion au groupe quaker local. La salle de culte, située sous la terrasse de la maison, est louée à différents moments de la semaine à une demi-douzaine de groupes religieux de différents courants (bouddhiste, musulman, hindou et ésotérique). Le garage a été transformé en local pour l’école du dimanche.

Activités

 

Le groupe quaker de Genève compte une centaine de personnes, dont environ 40 sympathisants (ou « amis des Amis »). Les amis des Amis sont des fidèles qui n’ont pas fait de démarche formelle d’adhésion mais qui participent et s’impliquent dans le groupe au même titre que les autres membres.

La vie du groupe s’organise autour du culte dominical (rassemblements d’une heure essentiellement silencieux, consacrés à l’écoute intérieure, et durant laquelle toute personne qui se sent appelée peut prendre la parole), des rencontres thématiques sur la spiritualité et le quakerisme, des sorties et invitations chez les membres de la communauté. Un bulletin trimestriel News and Views fait le lien entre les membres.

Le groupe est géré par un-e « clerk » (secrétaire, modérateur et représentant légal), des « anciens » (Elders), en charge des tâches spirituelles, et des « veilleurs » (Overseers), qui s’occupent plus particulièrement de la vie sociale du groupe, notamment du soutien aux personnes âgées ou isolées. Un Comité des affaires sociales s’occupe du financement de projets sociaux ou de développement, quakers ou non quakers, locaux, internationaux ou étrangers. La bibliothèque quaker de Genève, constitue un outil de recherche ouvert au public. Son catalogue est disponible en ligne.

Les tâches au sein du groupe sont redistribuées régulièrement par le « comité des candidatures » dans le respect des envies de chacun. Le but est de créer une dynamique de communauté et de faire tourner les tâches de façon démocratique.

 

La Société religieuse des Amis

 

La Société religieuse des Amis[1] plonge ses racines dans l’Angleterre du milieu du 17e siècle et dans le terreau du puritanisme, un mouvement d’inspiration protestante souhaitant « purifier » l’Eglise anglicane de ses oripeaux catholiques, revenir au christianisme des origines et à la seule autorité de la Bible en matière de foi.

C’est George Fox (1624-1691) qui est à l’origine du quakerisme. Il va pousser plus loin l’idéal de la Réforme et prêcher la possibilité pour chacun de faire l’expérience de Dieu sans l’aide d’intermédiaire mais en se reliant à la « lumière intérieure » qu’il dit présente en chaque individu. Il fédéra autour de lui nombre de disciples qui commencèrent à s’organiser en « Assemblées » et à se retrouver pour des cultes basés sur le silence, à l’écoute de l’ « étincelle divine » en leur for intérieur. Les tremblements de certains fidèles « secoués par l’Esprit » sont à l’origine, dit-on, du surnom de « quaker », littéralement « trembleur » en anglais, que leur donnèrent leurs détracteurs. A moins que le terme ne dérive des propos de George Fox lui-même qui aurait exhorté le juge Gervase Benson à « trembler au nom du Seigneur », lequel en retour et par dérision lui aurait donné ce sobriquet. Quoiqu’il en soit, l’origine du terme est incertaine. Les membres du mouvement pour leur part, se dénommèrent dans un premier temps « Enfants de Lumière » puis « Amis » (d’après ce passage de l’évangile de Jean « Vous êtes mes amis, si vous faites ce que je vous commande » – Jean 15, 14) mais ils adoptèrent aussi le surnom de quaker.

Fox insista sur la nécessité de vivre simplement ainsi que sur l’égalité de tous devant Dieu, un enseignement qui conduisit les membres de la Société des Amis à porter des vêtements simples, non ostentatoires, à utiliser le « thee » ou « thou », équivalent du tutoiement dans la langue anglaise de l’époque, et à s’investir dans de nombreuses causes pacifistes ou pour l’égalité des droits. Persécutés en Angleterre sous Cromwell, certains trouvèrent refuge en Pennsylvanie, un Etat américain fondé par un quaker, William Penn, en 1681. Après l’Acte de tolérance édicté par Guillaume III d’Orange en 1689 lors de son accession au trône d’Angleterre, les persécutions cessèrent mais la position des quakers resta longtemps difficile du fait de leur refus de payer la dîme (la prédication des pasteurs devant à leurs yeux être gratuite), de prêter serment ou encore de participer à l’effort de guerre[2].

Le mouvement s’est surtout répandu dans les colonies anglo-saxonnes. Il est actuellement présent dans une soixantaine de pays[3] et on estime à environ 350 000 le nombre de ses membres dans le monde[4].

Il existe aujourd’hui, au sein du quakerisme, plusieurs tendances qui se distinguent par la forme du culte (« programmé » – sous la conduite d’un pasteur -, ou « non-programmé » – en silence, sans pasteur) et la place accordée aux Ecritures et à la lumière intérieure dans la recherche spirituelle. La tendance libérale, à laquelle se rattache le groupe quaker de Genève, est la tendance majoritaire en Europe mais ne représente qu’environ 10% des quakers au niveau mondial. Les quakers libéraux assistent à des cultes « non-programmés », mettent l’accent sur la lumière intérieure, fonctionnent sans pasteur et comptent dans leur rang des personnes qui se sentent chrétiens et d’autres qui se considèrent athées, agnostiques ou appartiennent à une autre religion tout en étant quaker. A partir du 19e siècle, une tendance évangélique s’est développée aux Etats-Unis au sein de la Société religieuse des Amis. Elle est aujourd’hui présente parmi les quakers des Etats-Unis, d’Afrique et d’Amérique Latine. Leur culte, dit « programmé », ressemble à un culte protestant avec des lectures, des hymnes et le sermon d’un pasteur. L’accent est mis sur la Bible et l’activité missionnaire. Mentionnons encore la branche dite conservatrice qui pratique un culte non programmé mais insiste sur l’autorité de la Bible.

 


[1] Elle ne prendra ce nom qu’au 18e siècle.

[2] George Fox et d’autres refusèrent de s’engager dans l’armée, et de nombreux soldats quittèrent leurs fonctions pour devenir quakers (William C. Braithwaite, The beginnings of quakerism, 1912). Ce refus de participer à toute guerre se poursuivit au début du 18eme siècle (William C. Braithwaite, The second period of quakerism, 1918,  chap. xxi).

[3] World christian Database (Todd M. Johnson, the Center for the Study of Global Christianity at Gordon-Conwell Theological Seminary (ed.), World christian Database, Brill, 2010).

[4] Selon le site du Friends World Committee for Consultation (« Le Comité consultatif mondial des Amis »), organisation quaker internationale qui fait le lien entre les quakers de toutes tendances, http://www.fwccamericas.org/find_friends/world-map.shtml#

 

La religiosité des quakers libéraux

« Il n’y a pas, pour l’homme qui pense, de vérités qui ne soient des vérités d’essai, destinées à être mises à l’épreuve et confrontées avec d’autres vérités. Il ne sait pas à l’avance où il va ; il ne sait qu’une chose, c’est qu’il se laissera conduire par cette lumière intérieure, qui est intuition et raison inséparablement, et il trouve son assurance en cette soumission. Elle le relie à l’éternelle Pensée qui vit en lui et qui s’éploie dans la procession des mondes. »

Henri-Louis Miéville [1]

Le culte quaker « non programmé » repose sur le silence. Les participants, assis le plus souvent en rond ou en carré, se recueillent pendant une heure taisant leurs « réflexions, l’agitation de (leurs) propres soucis et idées, pour faire la place à Dieu » [2]. A Dieu ou à ce en quoi ils croient. En effet, le quakerisme est issu du protestantisme mais parmi les quakers libéraux certains se considèrent athées, agnostiques ou appartiennent à une autre religion tout en étant quaker.

Leur conviction essentielle est que chaque personne porte en elle une « lumière intérieure » ou « étincelle divine » et que c’est en soi-même, ou au cœur du groupe rassemblé en culte, qu’il faut puiser la compréhension des choses divines plus que dans les dogmes ou la théologie. Aussi, la foi des quakers libéraux n’est pas fixée une fois pour toute. Elle s’exprime par des « témoignages », résumés en de courts textes sur la manière de se comporter dans le monde. Ils varient d’un groupe à l’autre et sont enrichis de générations en générations. Les plus répandus sont le témoignage de paix (à la base de nombreuses actions pour la non-violence ou l’aide humanitaire qui ont fait connaître les quakers à travers le monde – les quakers sont souvent objecteurs de  conscience), le témoignage d’intégrité ou de vérité (qui consiste à accorder une place centrale à ses principes spirituels dans la vie quotidienne), le témoignage d’égalité  et de simplicité (le refus du luxe, ou l’engagement historique de certains quakers pour des causes visant aux droits des femmes, des prisonniers ou des malades mentaux).

Les quakers libéraux ne connaissent ni prêtres, ni pasteurs, ni hiérarchie interne. Ils partagent l’idée du sacerdoce universel, l’inspiration divine pouvant surgir n’importe où, n’importe quand et chez n’importe qui. Ils sont d’avis que la vie entière revêt un caractère sacramental, ils ne distinguent donc aucun sacrement particulier. Au sein d’un groupe, les tâches sont réparties entre différents comités qui s’occupent de la vie sociale et spirituelle de l’Assemblée. Les décisions prises dans ces comités doivent refléter le sentiment de tous, sans quoi elles sont ajournées. Elles ne font pas l’objet de votes et sont rédigées sous forme de « minutes » qui sont approuvées séance tenante. Dans les réunions, on donne son avis sans argumenter.

Indications bibliographiques :

Quaker faith & practice : the book of Christian discipline of the Yearly Meeting of the Religious Society of Friends (Quakers) in Britain, 3rd ed., with rev. approved 1995-2004 and corr., Ed. The Yearly Meeting of the Religious Society of Friends (Quakers) in Britain, 2005.

DANDELION,Pink, An introduction to Quakerism, Cambridge, Cambridge University Press, 2007

DANDELION, Pink, The Quakers : a very short introduction, Oxford University Press, 2008

DANDELION, Pink,COLLINS, Peter. (eds), The Quaker Condition: the sociology of a liberal religion. Newcastle, Cambridge Scholars Publishing, 2009.

DOMMEN, Edouard, Les quakers, Paris, éditions du Cerf, 1990.

GISEL, Pierre (dir.), Encyclopédie du protestantisme, Quadrige, PUF, Labor et Fides, 2006 (1ère éd. 1995).

LIVINGSTONE, E. A. (ed.), The Concise Oxford Dictionary of the Christian Church, Oxford University Press, 2006 (version online 2013).

LOUIS, Jeanne Henriette, La Société religieuse des Amis (Quakers), Turnhout, Brepols, 2005.

PATTE, Daniel (éd.), The Cambridge dictionary of Christianity, Cambridge University Press, 2010.

PUNSHON, John, Portrait in grey : a short history of the Quakers, London, Quaker Home Service, 1984.

 


 

[1] Vers une philosophie de l’esprit ou de la totalité, 1937. H.L. Mieville était membre de la Société religieuse des Amis, professeur de philosophie et de théologie à Lausanne dans la première moitié du 20e siècle.

[2] Selon les termes d’Edouard Dommen dans un dépliant présentant le culte quaker. Edouard Dommen est membre du groupe quaker de Genève et auteur du livre Les quakers, Paris, éditions du Cerf, 1990.