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Histoire à Genève

L’histoire de l’« Espace Fusterie », ancienne paroisse protestante de la Fusterie, se confond avec celle du temple du même nom. Construit entre 1713 et 1715 sur la place des Fustiers, charpentiers de marine qui œuvraient ici à proximité de la zone de déchargement des bateaux, il est le premier édifice religieux spécifiquement conçu pour le culte protestant dans l’enceinte de la cité après la Réforme. D’où son nom originel, le « Temple Neuf ». Auparavant, les fidèles se réunissaient, intra-muros, dans trois églises catholiques reconverties en temples protestants : la cathédrale Saint-Pierre, le temple de la Madeleine et celui de Saint-Gervais.

Avec cette nouvelle construction, le premier souci est de corriger le problème acoustique posé par ces églises : L’afflux de réfugiés protestants français fuyant les persécutions entrainées par la révocation de l’Edit de Nantes (1685) a considérablement augmenté la taille des assemblées dominicales et les fidèles se plaignent, lorsqu’ils sont assis au fond du temple, de mal entendre la prédication du pasteur, pourtant centrale dans le culte réformé. Dans un mémoire rédigé en 1701 en vue de la construction du temple de la Fusterie, le Consistoire déclare : « Les trois temples où l’on prêche présentement ne pouvant contenir tous ceux qui pourraient ou devraient assister aux sermons et une grande partie de ceux qui y vont estant très incommodément, et trop éloignés pour pouvoir entendre le ministre, il est désormais nécessaire d’avoir un quatrième temple pour ôter au monde tout sujet de plaintes à cet égard, aussi bien que tout prétexte à ceux qui disent qu’ils ne vont pas au prêche pour ne trouver pas dans les temples des places utiles. »[1]

C’est l’architecte Jean Vennes, huguenot réfugié à Genève, qui réalise le projet en s’inspirant de gravures – célèbres dans le monde réformé – du temple de Charenton, édifié en 1621-23 pour la communauté protestante de Paris et détruit en 1686. Le Temple Neuf inspirera à son tour un certain nombre de temples vaudois et bernois dont le temple réformé d’Yverdon (construite en 1753-1757) et le temple du Saint-Esprit à Berne (construit en 1725).

La paroisse quant à elle a été associée à celle de la Madeleine puis à celle de Saint-Pierre au fil des redécoupages territoriaux réalisés par l’Eglise protestante de Genève. En 2005, l’EPG repense sa présence dans la cité et décide de créer des « espaces » de dialogue et de rencontre, à la fois spirituels, culturels, et solidaires. C’est ainsi que la paroisse devient en 2008 l’ « Espace Fusterie » aux côtés du « Forum Saint-Pierre », de l’ « Espace Saint-Gervais » et de l’ « Espace Pâquis ».

 Sources :

Restauration du Temple de la Fusterie, Genève, Comité pour la restauration du Temple de la Fusterie, 1974.

BRULHART, Armand, DEUBER-PAULI, Erica, Arts et monuments, Ville et canton de Genève, Publié par la Société d’Histoire de l’Art en Suisse, Ed. Benteli, 1985.

DE MONTMOLLIN, Edouard, DELOR, François, Temple de la Fusterie, Temple neuf, premier temple protestant construit en ville de Genève, éd. Fondation des Clés de Saint-Pierre, 1990.

MARTIN, Camille, Le Temple-Neuf de Genève : notice historique et descriptive, publié à l’occasion de la vente pour la restauration du temple de la Fusterie, Genève, 1910.

RIBORDY Monique, Jequier Rémi (dir.), Encyclopédie de Genève, T. 5, Les religions, Ed. Association de l’Encyclopédie de Genève, 1986.

[1] Martin, Camille, Le Temple-Neuf de Genève : notice historique et descriptive, publié à l’occasion de la vente pour la restauration du temple de la Fusterie, Genève, 1910, p. 4.

 

Lieu de culte

Le temple de la Fusterie affiche une façade de style baroque mais dans l’esprit calviniste : ses seuls éléments décoratifs résident dans le fronton cintré agrémenté de deux volutes et orné des armes de la République surplombant une horloge. A ceci s’ajoutent des pilastres peu saillants séparant les fenêtres. L’intérieur répond aux besoins du culte réformé : un plan rectangulaire disposant, au sol et sur des galeries, les fidèles en demi-cercle de façon à ce que chacun puisse entendre la prédication du pasteur ; un grand nombre de fenêtres éclairent l’espace pour que la lecture soit aisée.

La paroisse de la Fusterie, associée à celle de la Madeleine au début du siècle dernier, décida de restaurer l’édifice en 1910. Il le sera encore en 1975-1977 et attend aujourd’hui une nouvelle restauration.

Le temple servit de local de vote en 1802, et d’hôpital militaire en 1814 et en 1871.

Activités

Depuis le printemps 2008, l’Espace Fusterie propose tous les jours de la semaine (sauf le dimanche et lors des vacances scolaires) un rendez-vous en mi-journée, spirituel, culturel et/ou en lien avec l’actualité. Ces rendez-vous sont organisés ou supervisés par les pasteurs du lieu, Marie Cénec et Blaise Menu. Du lundi au samedi, se succèdent des temps de prière, un concert accompagné de la lecture d’un texte, religieux ou non, des conférences et des  cultes.

A ces rendez-vous réguliers s’ajoutent des conférences, des expositions, des spectacles et des concerts (produits ou non par l’Espace Fusterie), et parfois des célébrations à caractère spirituel ou interreligieux. Marie Cénec et Blaise Menu décrivent le lieu comme « un temple ouvert en centre-ville où tous peuvent se sentir accueillis ». « Ici nous incarnons la fonction sans avoir besoin de parler, précise Marie Cénec. Ce lieu est la preuve par l’acte. Nous créons des communautés de vie. Les gens viennent et reviennent à leur moment préféré de la semaine, mais restent anonymes.»

La Réforme

En 1517, un moine allemand nommé Martin Luther s’élève contre les indulgences (le pardon des pêchés sous certaines conditions – à cette époque, fréquemment contre une somme d’argent) dont l’Eglise catholique fait commerce pour financer la construction de la basilique Saint-Pierre de Rome. Ses propos, exposés dans ses 95 Thèses, ont un retentissement considérable. Dénoncé à Rome, Luther est sommé de s’expliquer devant le chapitre de son ordre puis inculpé d’hérésie. Au cœur de la controverse et pour se défendre, il est amené à publier d’autres thèses dans lesquelles il développe un vrai programme réformateur. Il affirme que ni le pape ni les conciles ne sont infaillibles et qu’il n’y a d’autre autorité que l’Ecriture, laquelle est immédiatement accessible au croyant sans nul besoin d’intermédiaire. Il ajoute qu’en vertu du baptême tous les chrétiens sont prêtres et devraient pouvoir concourir à la réunion d’un concile… Il est excommunié en 1521. Des princes allemands prennent son parti et l’empereur Charles Quint leur accorde en 1526 le droit, à titre provisoire, d’adhérer à la Réforme. En 1529, il annule ce droit, ce qui provoque la protestation des princes. Ils seront dès lors appelés « protestants », et à leur suite, tous les partisans de la Réforme seront désignés par ce terme. Celle-ci se diffusa dans toute l’Europe, portée par d’autres théologiens dont Ulrich Zwingli à Zurich et Jean Calvin à Genève.

La Réforme à Genève

Au milieu du 15e siècle, Genève est une principauté épiscopale du Saint-Empire romain germanique. Point stratégique dans l’axe commercial nord-sud, elle est à cette époque à l’apogée de son expansion économique médiévale, possédant les foires les plus importantes d’Europe. C’est parmi les négociants genevois que commencent à se propager les idées de la Réforme, colportées par des marchands allemands, vers 1525. Mais ce n’est qu’avec l’arrivée du Français Guillaume Farel (1489-1565), propagateur de la Réforme en Suisse romande et des idées d’Ulrich Zwingli, que s’élargit le cercle des protestants genevois au début des années 1530, touchant la majeure partie de la classe dirigeante. Sur fond de tensions politiques avec la Savoie, catholique, qui tente de conquérir Genève, la messe est suspendue en 1535 et la Réforme officiellement adoptée le 21 mai 1536. La principauté épiscopale devient république protestante. Les catholiques fuient ou se cachent. A quelques exceptions près, ils ne pourront légalement plus habiter la cité jusqu’en 1798, date de l’annexion de Genève à la France. Seul l’ambassadeur de France bénéficiera d’une chapelle catholique édifiée dans son hôtel particulier de la veille ville (actuellement fréquenté par la Société de Lecture). En 1541, la jeune république fait venir Calvin pour organiser la nouvelle religion. Par son rayonnement, son rôle de refuge pour les protestants persécutés, par son Académie qui forma des pasteurs en provenance de toute l’Europe, Genève gagna le surnom de « Rome protestante ».

A l’occasion du 400e anniversaire de la naissance de Calvin, des protestants de Suisse et d’Europe ont érigé en 1909 le Mur des Réformateurs, une sculpture en hommage à quatre prédicateurs de la Réforme: Guillaume Farel, Jean Calvin, Théodore de Bèze et John Knox.

La religiosité protestante réformée

Les cinq solae  (sola scriptura – par l’Ecriture seule -, sola fide – par la foi seule -, sola gratia – par la grâce seule, solus Christus – par le Christ seul – et soli Deo gloria – à Dieu seul est rendu gloire) sont les cinq principes communs à tous les protestants. Ceux-ci se retrouvent également dans la reconnaissance de deux sacrements – les seuls mentionnés dans la Bible (sola sriptura oblige) : le baptême et la cène (à la différence des catholiques et des orthodoxes qui en reconnaissent sept).

Les Eglises réformées, dont l’Eglise protestante de Genève (EPG) fait partie, sont issues de la Réforme d’Ulrich Zwingli et Jean Calvin (mais aussi Guillaume Farel, Pierre Viret et John Knox). Elles se caractérisent par un culte dépouillé centré sur la prédication du pasteur, l’insistance sur la toute-puissance de Dieu, seul responsable du salut de l’homme, la place accordée à la sanctification (œuvrer selon la volonté de Dieu et pour sa gloire) et leur conception de la cène (elles suivent la conception de Calvin selon lequel la présence du Christ dans le pain et le vin est spirituelle et non réelle comme le professa Luther, et à sa suite, les Eglises luthériennes). A part sur ce point, églises réformées et luthériennes sont très proches sur le plan théologique. Elles découlent toutes deux directement de la Réforme du 16e siècle.

Calvin inspira le mode d’organisation, « presbytéro-synodal », commun à la plupart des Eglises réformées (dites d’ailleurs « presbytériennes » dans les pays anglo-saxons) : la gestion des communautés locales est assurée par un conseil (conseil presbytéral ou conseil des anciens équivalant aujourd’hui aux conseils de paroisses), celle des communautés supra-locales est assurée par le synode. Ces assemblées sont composées de laïcs et de pasteurs démocratiquement élus. Ce système est caractéristique de l’esprit de la Réforme qui rejette le principe hiérarchique sur lequel est basée l’Eglise romaine au motif de l’égalité de tous les croyants devant Dieu.

Les Eglises réformées sont présentes sur les cinq continents. C’est en Suisse, aux Pays-Bas, en Ecosse, en France, en Hongrie, et aux Etats-Unis qu’elles sont le plus anciennement implantées. Elles ont ensuite essaimé dans le monde par le biais des missions. Elles connurent différentes divisions et il existe actuellement au sein des Eglises réformées une palette de sensibilités théologiques allant des tendances évangéliques aux tendances libérales. Elles sont regroupées pour la plupart au sein de la Communion mondiale des Eglises réformées dont le siège se trouve au Conseil œcuménique des Eglises à Genève.

 Indications bibliographiques :

BAUBÉROT Jean, WILLAIME, Jean-Paul, ABC du protestantisme : mots-clés, lieux, noms, Labor et Fides, 1990.

BAUBEROT, Jean, BOST, Hubert, Protestantisme, Labor et Fides, 2000.

COTTRET, Bernard, Histoire de la Réforme Protestante, Paris, Tempus, 2010.

CHAUNU, Pierre (dir.), L’aventure de la Réforme : le monde de Jean Calvin, Hermé : Desclée de Brouwer, 1986.

DELUMEAU, Jean et WANEGFFELEN, Thierry, Naissance et affirmation de la Réforme, Paris, PUF, 2003

GISEL, Pierre (dir.), Encyclopédie du protestantisme, Quadrige, PUF, Labor et Fides, 2006 (1ère éd. 1995).

HIGMAN, Francis Montgomery, La Réforme: pourquoi ? : essai sur les origines d’un événement fondateur, Labor et Fides, 2001.

HILLERBRAND, Hans J., The Oxford encyclopedia of the Reformation, Oxford University Press, 1996, 4vol.

LIVINGSTONE, E. A. (ed.), The Concise Oxford Dictionary of the Christian Church, Oxford University Press, 2006.

MARSHALL, Peter, The Reformation : a very short introduction, Oxford University Press, 2009.

MILLER, John (dir.), L’Europe protestante aux XVIe et XVIIe siècles, De Boeck, 1997.

PATTE, Daniel (éd.), The Cambridge dictionary of Christianity, Cambridge University Press, 2010.

TURKHEIM de, Geoffroy, Comprendre le protestantisme : de Luther aux évangéliques, Eyrolles, 2007.

WILLAIME, Jean-Paul, Sociologie du protestantisme, PUF, Que-sais-je ?, 2005.